Les corps se déhanchent jusqu’à l’extrême, faisant voler la poussière dans un tourbillon incessant. Loin, très loin de la ville, les particules organiques explosent dans tous les sens tandis que bras et jambes suivent le tempo frénétique. C’est qu’au Balani Show, les corps sont possédés par le beat qui augmente au rythme des battements d’aile des papillons de nuit, sous les yeux exaltés des danseurs aux corps vibrants.
On file plein sud, à 40 km environ de Bamako, juchés dans une Jeep rouillée, laissant défiler devant nous usines de traitement de farine et laboratoires pharmaceutiques, avant de bifurquer sur une piste cabossée qui requiert les compétences d’un chauffeur expérimenté. Nous voici coupés du reste du monde, littéralement : notre arrivée imprévue déclenche les cris intrigués d’étranges oiseaux au long cou qui descendent en piqué dans notre direction. Ce minuscule village non loin de Sanankoroba n’a ni électricité, ni eau courante – hormis les quelques robinets communaux – mais ô combien de grenouilles ! Au milieu d’une clairière trône une table de mixage entourée de racks d’enceintes démesurés, au centre desquelles se trouve DJ Diaki, qui rappelle que ce n’est qu’ici, dans sa région natale de Koulikoro, que l’on peut expérimenter le meilleur des festivités maliennes.
Car Diaki est un des piliers de la scène balani au Mali, et une véritable tête brûlée dont les sets dépassent allègrement les 200 bpm. Bien qu’habitué des clubs des grandes métropoles comme Paris et Berlin, rien ne semble l’exciter plus que de jouer dans cette communauté rurale isolée au milieu de la brousse, qui ne vit que de la petite agriculture. «Ce soir vous allez comprendre de quel bois la jeunesse du village se chauffe, prévient-il. C’est pour eux qu’on joue, et il faut que ce soit rapide, bien plus rapide que dans n’importe quel club en ville.» Tirant de grandes bouffées sur sa cigarette sous les yeux de DJ Iba et DJ Gladia, ses deux apprentis du jour, , il poursuit : «Les DJs de Bamako ne peuvent pas offrir ce qu’on offre ! Ce soir, un Occidental penserait sans doute que les gens sont défoncés, mais rien de tel ici. Ensemble, on crée des bons moments pleins d’optimisme. C’est la danse même qui nous transporte.»
En effet, Diaki et ses acolytes ne travaillent pas seuls, et les festivités maliennes du Balani Show donnent à voir au moins deux aspects fondamentaux de la culture ouest-africaine : le balafon – un xylophone dont certains font remonter l’origine au 12e siècle – qui résonne gaiement quand on le frappe à très grande vitesse ; et d’autre part la coutume ancestrale qui consiste à célébrer les moments les plus sacrés juste devant chez soi – que ce soit au village ou dans les rues de la ville.
Autrefois amplifié naturellement par des gourdes disposées sous les lames du clavier, le balafon est aujourd’hui plus souvent amplifié par des enceintes, grâce à un microphone qui capte à la fois le son du martèlement percussif, et le bourdonnement mélodique si typique. Plus récemment, l’instrument est entré dans une autre sphère grâce à la technologie de la fin des années 1990, permettant de sampler et accélérer le son à l’aide de programmes informatiques faciles d’utilisation. Quant au tambour djembé, il est désormais remplacé par des beats électroniques, qui ne laissent aucune chance aux danseurs sinon celle de secouer frénétiquement leurs corps déchaînés au son d’un passé futuriste.
Alors que le soleil se couche sur le village, nous voilà réunis autour d’une marmite bouillante de laquelle on pioche riz et viande, recrachant au sol les petits os de lapin grillé. Des jeunes garçons nous servent le thé à la menthe avant d’installer les groupes électrogènes, tirant des câbles dans l’obscurité de la nuit. À peine le dernier de l’écho de l’ultime prière s’est-il éteint dans les haut-parleurs de la mosquée du village, l’énergie se concentre tout entière sur la fête. Des enfants chaussés de sandales en plastique s’attroupent, impatients d’entendre la musique. On branche le matos dans les prises électriques, on câble les machines, on déplie les ordinateurs portables et, sans crier gare, se fait entendre une explosion sonore qui remplit l’immense espace naturel, sous un cosmos infini aux textures kaléidoscopiques.
J’ai d’abord rencontré DJ Diaki lors du Nyege Nyege Festival qu’organise son label sur les rives du Nil en Ouganda. Vêtu d’un costume, la cigarette aux lèvres, et s’abreuvant d’une bouteille d’eau, il sème le chaos à partir d’un simple clavier d’ordinateur, déclenchant l’euphorie de la foule. Rien d’étonnant pour celui qu’on surnomme «Le Président». Car Diaki, né Diaki Koné, a créé sa propre version d’une musique balani déjà survoltée, la faisant entendre jusque dans des festivals en Australie. Se faisant la main lors de DJ sets à base de K7 de soukouss et de coupé-décalé, il a depuis développé ses propres productions au tempo affolant dans un style qu’il a baptisé «Balani Fou» : un assortiment foutraque de polyrythmies minimalistes qui a le don de propulser le dancefloor sur une autre planète.
En apportant avec elle la tradition des fêtes balani, la jeunesse des campagnes qui a émigré à Bamako a sans nul doute contribué à stimuler et réinventer la culture citadine. Car si les «Balani Shows», déjà cultes dans la brousse, ont introduit le tempo ultra-rapide, cette musique jubilatoire est jouée pour la rue et par les jeunes musiciens. Une fusion évidente du traditionnel et du moderne.
Une partie de la presse nationale s’étouffe à la seule idée des Balani Shows, les considérant comme une menace pour l’harmonie de la société malienne, une nuisance perturbant la tranquillité de citoyens sages et pacifiques, jusque tard dans la nuit. Ces médias prétendent que les danses obscènes sont de dangereuses provocations qui, accompagnées d’une forte consommation d’alcool et de drogues, augmenteraient le risque d’actes «dégradants» entre adolescents. Dans un Mali aux prises avec l’instabilité socio-politique, dont de larges régions sont en proie aux insurrections, ces articles appellent depuis des années à limiter ces fêtes dans le but de protéger la population d’éventuels actes de terrorisme. Résultat : des quartiers entiers de la ville ont lancé les hostilités. En août 2023, c’est la mairie du 4e arrondissement de Bamako qui décide d’interdire tout «évènement culturel et artistique intitulé « Balani Show » […] sous peine d’amende allant jusqu’à 500 000 francs CFA [environ 760 €]». Ainsi menacées d’expulsion par les autres arrondissements, les festivités ont été forcées de trouver d’autres terrains de jeu. Une discrimination étonnante, car à peine avais-je mis les pieds au Mali qu’il m’était évident de constater que toutes les fêtes n’ont pas été bannies des rues du pays.
Mon premier dimanche à Bamako s’était résumé à une longue errance sans but dans un quartier à l’urbanisation hétéroclite situé près du fleuve Niger. Dans la rue, des chaises avaient été installées en rang sous de légers chapiteaux à l’occasion d’un mariage, dont l’ambiance électrisait les invités. Les costumes taillés sur-mesure en bazin – ce tissu aux couleurs vives et teint à la main – reflétaient la lumière de fin d’après-midi dans des nuances infinies. Un groupe venait de finir de jouer sur le tapis étendu devant nous. Et quand le chanteur, dont le corps bougeait tel un serpent hypnotisé, hurla «Allez !» dans son micro, le guitariste brillant de milles bijoux argentés se lança dans une spirale délirante de notes, convaincant sans peine le batteur surexcité de se ruer allègrement sur ses fûts surtendus : CLAC-CLAC-CLAC. Les femmes se déhanchent furieusement, face à face, leurs épaules bougeant lentement d’avant en arrière. Pendant ce temps, à l’ombre, le reste des invités assiste au spectacle, placidement assis sur des chaises de jardin en plastique blanc.
Quelques encablures plus loin, je tourne au coin d’une rue avant de m’arrêter brusquement : devant moi se trouve un groupe d’hommes alignés en silence, s’apprêtant à réciter la prière mortuaire. Des chèvres immaculées suspendues aux arbres, immobiles et blanches comme la neige vierge, attendent leur sort, qui consiste à être sacrifiées et partagées entre les participants une fois les incantations achevées. On dit quelques mots, on joint les mains sur la poitrine, et la communauté implore pardon et miséricorde pour celui qui n’est plus de ce monde. Un père de famille vient de mourir, et ce qu’il reste de son âme s’échappe de nous à travers la sueur. Les épreuves de la vie sont inexorables, mais à Bamako elles déteignent les unes sur les autres, et la ville est cartographiée par la permanente cohabitation du chagrin et de la joie.
Plus tôt dans la même journée, j’avais rencontré MC Waraba, un rappeur qui n’était encore qu’un jeune enfant à la fin des années 1990 quand les Balani Shows prenaient de l’ampleur à Bamako. Alors qu’on déambulait dans les allées tentaculaires du marché de la ville, des messages pré-enregistrés répétaient en boucle les prix des produits sur des enceintes portables, jusqu’à l’écœurement. Là, dehors, le klaxon incessant des bus, motos et taxis. Quand des ados interpellent le barbu de 36 ans, reconnaissant l’artiste, il leur fait signe en retour. «Dans mon quartier, mes oncles et tantes avaient pour habitude de monter un sound system à la moindre occasion. Les djembés et congas résonnaient furieusement avec le balafon. Une sacrée fête !» Il semble encore fasciné par le souvenir des MCs qui animaient ces compétitions de danse effrénées.
Nos vingt ans, «c’était l’époque où on kiffait la vibe», se remémore Waraba. Le micro lui a offert la possibilité de dire son amour pour son pays, mais aussi de se lancer dans des déclarations adressées à sa communauté, en incitant par exemple les filles à ne pas utiliser de crème blanchissante – non sans oublier de confesser son penchant pour les gros popotins. La musique qu’il a enregistrée avec Mélèké Tchatcho « s’écoutait dans le Mali tout entier. On a pris des éléments de l’ancienne culture mandingue issue de l’empire malien pour la transmettre à une nouvelle génération.» Si Waraba n’imagine pas nécessairement son futur dans le balani, puisqu’il lorgne plutôt du côté de la dernière tendance afrobeats, il se sent tout de même redevable : «Non seulement les Balani Shows nous ont unis dans la rue, mais le bonheur de cette époque a fait de moi l’artiste que je suis aujourd’hui. Tout, littéralement, provient de mon amour pour ces moments de mon enfance.»
De retour au village, alors que Diaki a trouvé son rythme de croisière, une centaine de gamins agitent frénétiquement bras et jambes, la plupart d’entre eux arborant joggings, t-shirts et survêtements aux couleurs d’un des prestigieux clubs de football de la Ligue des Champions. Ils dansent avec ferveur au son de cette musique qui passe directement des enceintes à leurs poitrines. Certains tombent sur les genoux pour se redresser immédiatement dans une rapide convulsion, tandis que d’autres, quasiment sur la pointe des pieds, croisent et décroisent les jambes avec application et dextérité. S’amuser est une activité que l’on prend très au sérieux quand les festivités battent leur plein. Un peu en retrait, de jeunes mères de famille surveillent la scène.
Pendant ce temps, un ado du village brandit un bâton pour éloigner les enfants du matos audio. Tandis que les danseurs s’approchent, il fait siffler son engin dans les airs et fouette bruyamment le sol. Les gamins font un bond en arrière, sans interrompre leur danse acrobatique. Un garçon équipé de lunettes de soleil roses se tient debout au milieu du dancefloor, observant la scène avec flegme. En bordure de la mêlée, d’autres croisent timidement les bras, immobiles.
Cigarette au bec, chaîne en or qui brille, DJ Gladia est l’incarnation du cool. Le protégé de Diaki remixe les tracks en direct pendant que son ami invective les danseurs au micro. Le garçon au bâton fait sa propre annonce, invitant les femmes du village à se rassembler. Les autres participants forment un cercle autour d’elles, tandis qu’elles se font face, battant la mesure dans un même geste. Certaines portent leur nouveau-né, emmailloté, le visage appuyé contre la chaleur de la peau maternelle. Une lune jaune éclaire le ciel et entame son ellipse à toute vitesse.
Loin de ses fêtes débridées, d’autres artistes contemporains maliens ont réinterprété le balafon, pour le plus grand plaisir de la population. Lors d’une promenade dans le quartier Badalabougou de Bamako, je tombe sur un baptême musulman. Aveuglé par la lumière blanche qui se reflète sur les marmites de métal remplies de nourriture, j’entrevois des enfants qui courent en cercle, comme dans un rêve. Quand la musique d’ Abdoulaye Diabaté fait cracher les enceintes, des sourires se dessinent sur toutes les lèvres. Griot romantique originaire de la région de Ségou, Diabaté a rendu le plus grand honneur au balafon en le replaçant au centre de la scène avec son tube des années 1990, sobrement intitulé «Balani», avec pour accompagnement sa guitare électrique et le battement irrésistible d’une batterie au timbre plus occidental que malien. La chanson a emporté l’adhésion de tout un peuple qui l’a perçue comme une ode à ce son émouvant qui caractérise le Mali.
Si c’est DJ Seydou Bagayoko qui a été à l’origine de ce qu’on appelle le Balani Show, en préférant faire des DJ sets avec des K7 enregistrées plutôt que de rémunérer des musiciens de balani, ce sont ses apprentis, DJ Diaki et DJ Sandji, qui se sont taillé un créneau professionnel en introduisant des sonorités électroniques. J’ai retrouvé la trace de Sandji et j’ai pu lui demander de nous expliquer son rôle dans la déconstruction du balani dans la culture populaire.
Né en 1975, son premier contact avec la musique s’est établi à travers son père, qui jouait de la guitare acoustique. Mais c’est l’émission matinale du dimanche sur Radio Mali qui aura fini de le captiver. «J’attendais avec impatience le dimanche matin à 10h pour me brancher sur « Disque Demandé » pour entendre de la musique populaire malienne, mais aussi du Congo, du Zaïre, et des tubes européens.» Peu intéressé par l’école, Sandji était persuadé qu’il devait dédier sa vie à l’organisation de fêtes locales, armé du micro de son grand frère et passant de la musique à danser. «C’était comme à la radio, où chaque chanson était dédicacée à un auditeur. Sauf que je faisais mes dédicaces directement dans la rue.» Dès l’âge de 18 ans, il est déjà une sommité dans son quartier en même temps qu’il provoque la colère des imams, au titre qu’il provoquerait trop de vacarme. «J’avais même un décor composé de moutons et d’énormes sacs de farine pour créer une expérience théâtrale», se remémore-t-il en rigolant. «Les gens ne comprennent pas que quand tu es pauvre, tu ne peux pas te permettre de sortir dans les bars ou les discothèques. Et pas seulement par manque d’argent. C’est que ta famille te surveille en permanence. Tu ne peux pas quitter ton périmètre.»
Cette époque a vu des artistes atteindre des niveaux de célébrité rarement égalés, et la longue carrière de Molobaly Keita atteignit alors son firmament. Donnant des concerts à la radio et à la télévision, ses paroles explosives à la frontière du sacré déclamées sur la rythmique d’un balafon souvent extatique, ont ensorcelé la société malienne tout entière.
Neba Solo, jeune virtuose, a aussi transformé la perception que les gens avaient de l’instrument en jouant un modèle de balafon portable, aux notes plus aiguës, une version déjà célèbre dans sa région d’origine, Sikasso. Son hymne populaire, «CAN 2002», porté par un kick four-to-the-floor emprunté à la house music, a propulsé le balafon sur le terrain des jeux de jambes extatiques. Dédicacé à la sélection nationale de football de 2002, l’année où le Mali a accueilli la Coupe Africaine des Nations, c’est le parfait exemple de comment la culture de la jeunesse s’est frayée un chemin dans la culture du grand public, sans perdre son intensité.
C’est au téléphone que je parviens à mettre la main sur Neba Solo – né Souleymane Traoré en 1969 – quelques instants avant le concert qu’il donne pour l’inauguration d’une usine de ciment. Je lui demande ce qu’il pense de la culture des jeunes aujourd’hui. «Les temps changent, mais le balafon est immuable, dit-il après réflexion. La musique balani donne une voix au peuple. C’est mon rôle de mettre l’accent sur les maux de la société, mais cette musique a été créée avant tout pour encourager la jeunesse à se réunir et travailler la terre. Car sans travail, pas de liberté».
«Je suis satisfait du chemin que j’ai parcouru grâce à la musique», reconnaît DJ Sandji, l’un des lieutenants de Diaki adossé à sa Mercedes déglinguée. «Je n’ai pas pu voyager grâce à mes talents musicaux, mais j’ai pu rendre ma famille et mes enfants heureux.» S’il gère aujourd’hui une entreprise de location de matériel audio pour fêtes et mariages, «en ce qui concerne la scène artistique, il y a dorénavant moins de fêtes. Entre les fondamentalistes, les bandits et les gamins drogués, c’est toute la dynamique de la ville a changé.»
Retour en brousse, dans la région de Koulikoro : après quelques heures de danse intense, Diaki reprend le micro pour s’adresser au village avant le début du «show». Dans la foulée, deux jeunes hommes forment un cercle et se relaient au micro, hurlant chacun leur tour à plein poumons, les doigts pointés vers le ciel, dans une ambiance digne d’un carnaval. Puis ils agrippent un garçon et une fille âgés d’à peine 10 ans, leur bandent les yeux et les propulsent au milieu du cercle, entourés des bruits des sirènes du synthétiseur et des battements de main de la foule. S’ensuit alors une scène qui ressemble à s’y méprendre à un programme TV : la foule hurle à tue-tête tandis que les enfants, à quatre pattes, se mettent frénétiquement à la recherche d’un billet de banque dans un nuage de poussière qui finit par les recouvrir tout entier. Surgit alors un groupe d’hommes du village qui, en file indienne, remettent une somme d’argent aux DJs avant de montrer leurs meilleurs pas de danse. Le premier virevolte et retombe sur le dos, copieusement acclamé par la foule, suivi d’un duo d’amis aux costumes identiques, secouant et entrechoquant leurs corps devant la foule galvanisée. Il est déjà deux heures du matin quand Diaki prend le contrôle du sound system, dégainant les samples au rythme d’une mitraillette, en ne laissant aucun doute sur le contrôle total qu’il exerce sur son public.
Un autre de ses disciples, DJ Iba, prend la main sur la sélection musicale, non sans un goût prononcé pour la performance. Tout en manipulant le mixeur, il hurle dans le microphone et se jette au sol, habité et remué par des forces imaginaires. Soudain, créant la surprise, il balance le «Natural Mystic» de Bob Marley, obligeant tout le monde à lever les mains en l’air en entonnant : «D’autres encore devront souffrir, D’autres encore devront mourir, Ne me demandez pas pourquoi.»
Je prends Iba par l’épaule, et il me confie : «Quand ces hommes et ces femmes nous jettent de l’argent, c’est pour honorer ce qu’on fait, et c’est comme ça qu’on arrive à survivre : en leur apportant du bonheur.» Il en profite pour m’expliquer que c’est Diaki qui lui a appris à mixer trois ou quatre chansons à la fois, et qu’il compte bien dorénavant développer son propre style. Je demande à Gladia comment il envisage le futur de la musique balani. «Se connecter avec les gens est primordial, mais je veux aussi faire de la musique rapide et déjantée. Diaki nous a tout donné, jusqu’à l’éducation. C’est mon idole.»
Une fois la musique coupée, le public volatilisé, et l’équipement rangé, on remonte dans la Jeep. Je demande alors à Diaki comment Diable un tel laisser-aller est-il autorisé dans une culture qui semble profondément conservatrice et religieuse. «Et comment veux-tu contrôler la jeunesse ?», répond-il, hochant la tête. «lIs ont la vie devant eux. S’ils ne sont pas heureux et qu’ils s’en vont, qui travaillera dans les champs ? Les personnes âgées dépendent d’eux pour construire un futur en commun.»
On avale les longs kilomètres de la piste accidentée pour rejoindre le goudron sur les coups de quatre heures du matin, comme un retour progressif au monde réel. La poitrine est encore lourde, et les visions de tendons et ligaments électrisés ne cessent d’irradier mes pensées.